Carnet de bord – jour 60 par LUCE – CUISINIERE A BORD DE NOUMENE
En version audio en bas de l’article
Sans lassitude
‘Voir la lumière dans l’obscurité et l’harmonie dans le silence’
Les nœuds du ciel ont transpiré, l’astre brillant s’est éloigné. La lune a fui aussi de longues nuits. Place à l’obscurité puis à son bel arc fin qui croît. Et de nouveau cette rondeur que reflète les profondeurs…
Avez-vous déjà suivi ces cycles des heures et des nuits durant ? Aussi longtemps? Elle argente si joliment l’océan.
En se rapprochant de celui de Moorea, nous avons, pour l’avant dernière et la quatrième fois depuis Lima, changé de fuseau horaire.
La nuit arrive vite maintenant. Plus capricieuse, parfois orageuse, mais toujours aussi merveilleuse… à l’instar des six belles rameuses.
Ce n’est pourtant pas la croisière s’amuse… mais une expédition qui use!
Février s’achève, Marie sous les mains d’Élodie s’évanouie, Margaux s’entortille et se blesse l’orteil, Stéphanie manque d’éveil gravement atteinte dans la matinée par de forts venins marins… Elles deviennent avec Itzi après tant de méduses, allergiques aux physalies. On manque aussi dans la nuit qui suit et à deux doigts près de perdre la main de notre cher capitaine que je vois blanchir pour la première fois. Belle suture et continue l’aventure! Manu à peine remise des brûlures de la veille se jette à l’eau, il est trois heures du matin. Alex sans blessure, tient la barque heureusement, Mars est déjà en chemin …
Quand le ciel frise et d’éclairs parcemés tonne, il blanchit lui aussi l’horizon, et sème sur Noumène, parfois, puissant, un violent grain. On se douche alors ensemble d’averses chaudes et orageuses quand il gronde encore au loin. Mais le paddle toujours luit et continue dans la nuit d’avancer comme la courageuse inaltérablement de ramer…
Les ombres l’unissent plus que jamais à cette surface en transe et à ce ciel qui danse puis sombre transpirant. Il ne rassure en rien les rames de nuit avec ou sans lune, alors très obscures.
Le vent change d’humeur et la rameuse du quart suivant vient s’enquérir, pour au mieux sur l’eau se revêtir, des températures et conditions de rame du moment.
Rien ne les effraie, pas même tous ces filaments qui traînent, brûlant encore leurs mains et leurs bras immergés si souvent mais ramer avec des gants vous diront-elles rajoute un poids conséquent… Seules les plus jeunes ne les oublient, la nuit, jamais. Steph et Manu ont trouvé l’astuce des gants fins de chirurgien qui leur font une deuxième peau sans se remplir d’eau. Leurs blanches élégances pour aller ramer n’ont alors d’égal en beauté que leurs si beaux sourires qu’elles ne quittent jamais.
Rien ne les effraie? Non, sauf, peut être… pour certaines, invraisemblablement, un infime poisson volant qui s’agite, malodorant échoué à leurs pieds alors qu’elles bravent des vagues plus hautes qu’elles! Des vagues d’une force de la houle du grand large….
Le manque de lumière rime pour nos waterwomen à manque de repère… Surtout quand cette houle, croisée, les brasse sur le flanc de la coque sous le vent. De fait, la rameuse ne va, la nuit, jamais de trop s’éloigner. De quoi sur le pont, un peu se relaxer et profiter d’un air plus frais.
J’aime alors prendre place au premier rang. Les pieds pendants au vent du balcon qui donne sur la scène directement. Et n’avoir devant, sur tous les plans, pour les trois heures de quart à venir, qu’à me nourrir de cette noire beauté. Un vrai plaisir! On a pas tous les mêmes repères, non… Elle m’éclaircit l’esprit et l’égaie jusqu’aux aurores des fins de nos nuits.
Vient l’heure de mes échanges favoris… À l’arrière du bateau, l’aurore maritime s’accorde à merveille au ciel de l’avant scène encore étoilé où s’invitent à bord, en cette dernière heure qui s’étire dans la nuit quelques vieux et bons amis pour me tenir compagnie… Se conjuguent alors, au plus que parfait, nocturne et matinal ballet en dégradé de teintes qui commencent à l’Est à s’empourprer puis à l’enflammer.
Savez-vous combien d’aurores en ses champs marins compte une nuit toute entière?
‘‘Il est des silences qui aident les arbres à pousser’’… pense à voix haute Juarroz flottant sur le bout dehors à l’avant. Neruda plus confortablement installé aux premières loges lui répond qu’il est bon en effet d’’apprendre à voir où tout est obscur et à entendre où tout est silencieux. Voir la lumière dans l’obscurité et l’harmonie dans le silence’ …
Savez-vous que le noir est l’addition des couleurs et non l’absence?
Que d’émotions submergent de cette palette marine et céleste. Que de moments d’exception nous sont offerts en permanence dans cet art incessant du vivant.
Si tant est, que nous voulions bien le regarder. Si tant est que rien ni personne n’obstrue sa vue.
Nous remarquons si rarement que nous vivons au milieu de l’extraordinaire!
Vous le croirez ou non, même la menthe nous revient en fougère….
Puis le vent change d’humeur, encore, et offre pour quelques instants de bonheur un concert de silence, un semblant de plaisance… Il est presque six heures, Noumène se réveille et avec lui pour recharger ses batteries, toutes sortes de bruits.
Pessoa entre alors dans la danse et nous chuchote que les choses n’ont pas de signification mais une existence, que la beauté est le nom de quelque chose qui n’existe pas et que l’on nomme en échange du plaisir qu’elle nous donne’…
Encore mille mercis pour ce privilège de vous voir d’ici peu sur la plage d’arrivée. Mais surtout, infiniment, d’avoir vécu en mer tant de nuits et de bleus à vos côtés. D’avoir contempler ces beautés qui nous mènent sur les ultimes vagues. Elles font ressurgir tant de plaisir!
Un nouveau jour se lève, le beau temps est de retour. Les rayons percent déjà dans le sillage les quelques nuages sur l’horizon qui nous précède. Bientôt ils inonderont la pointe avant pour un temps solitaire et solaire. Pour un temps silencieux et précieux quand, dans le carré, les dernières couchées qui viennent de ramer prendront leur petit-déjeuner, croisant celles qui s’éveillent pour les relais suivants…
Les quarts de nuit finissent et doucement le soleil se hisse au delà du génois.
En cuisine, le thon déjà bien apprêté sortira bientôt de sa boîte pour un nouveau repas.
J’y joindrai au réveil un brin de Provence, un peu d’épices dorés et un embrun salé aux algues arctiques qui devraient parfaitement aller pour rendre mon assiette magique.
La corifène pour l’accompagner, elle, se fait toujours désirée…
D’ici là, c’est le temps pour moi d’un rêve; celui de mon bain quotidien… Ne serait-ce que de soleil avant qu’il ne soit brûlant, et, tout au moins en pensées, plonger… en soi au plus profond des siennes pour dire aux êtres chers qu’on les aime.
Mes yeux se ferment et les aurores deviennent boréales.
Je m’endors profondément et l’horizon devient Austral…
Et le vôtre, où ses contours se dessinent-ils ? Pour demain ou pour un jour plus lointain?
Clair, net et précis ou est-ce encore un peu flou et indécis? Peut-être un peu fou aussi?
Simple ou phénoménal comme le leur, je nous souhaite à toutes et tous d’enjamber ou d’embrasser toujours nos horizons préférés et d’allez surtout où nous mènent nos rêves!
Spéciale dédicace à Georges qui devrait, si mes souvenirs sont bons, fêter aujourd’hui sa soixantième année. Heureux Anniversaire Libanais! Je t’offre cette étoile filante qui vient à bâbord de passer dans le ciel des premiers atolls que nous longeons.
Que cette nouvelle décennie soit porteuse, avec nos enfants de grandes et belles émotions.
Bien à vous depuis ces belles et lointaines latitudes.
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Très beau texte très;;; belle littérature avec de ci de là des références.. .. on en tomberait amoureux… de ces mots de son auteure.. brav’eau à toutes et à vos marins;; pops ému et touché…bon mais pas coulé..